mardi 14 février 2012

L'allégorie du marcheur

Il est environ 23h, une chaude nuit au Québec, mais ici il fait froid, après être allé reconduire une autre stagiaire chez elle, c’est le moment pour moi de rentrez chez moi. La route est longue, je suis à pied et je ne suis jamais rentré chez moi par moi-même et encore moins la nuit, mais je connais le chemin, enfin je pense. Le premier tronçon est facile, je retourne sur les pas que j’ai empruntés pour reconduire l’insécurité chez elle. Le second est tout aussi facile, un des goudrons principaux de Banfora qu’on utilise chaque jour. La rue fourmille encore de gens, la circulation est moins dense qu’en plein jour, quelques motos et une voiture de temps à autre. J’arrive devant un maquis que je connais bien, un visage familier me salue, je me trouve devant le restaurant à Fatim près de l’antenne. Je dois tourner à gauche à la boulangerie, encore une ligne droite éclairée. La rue, au fil de mes pas, est de moins en moins animée. Quelques tables dehors, des silhouettes autour prenant une bière, quelques musiques étouffées sortant par l’ouverture de différentes portes, des toc-toc de joueurs de dames ou autres jeux dont je ne connais le nom, le brouhaha d’un bar, je regarde à ma droite, un autre visage qui me reconnait, un montréalais rencontré quelques semaines auparavant, quelques salutations et je repars. Quelques pas plus loin, un gros bonhomme dont le nom signifie ami en elfique, oui une référence à LOTR, me demande où est mon père africain, je lui réponds qu’il est sûrement dans un maquis du coin, satisfait il repart sur sa petite moto. J’arrive au bout de la rue, un rond-point à trois branches, je prends à gauche, l’asphalte sous mes pieds et de plus en plus recouverte de sable, ensuite des trous poussent rapidement un peu partout, puis, que du sable durci aux passages des véhicules. Il n’y a plus de lumière, juste quelques maisons éclairent leur cour, et moi, qui ne pensait pas rentrer si tard, je suis sans torche. Alors j’avance dans le beige grisâtre de l’obscurité. Mes yeux s’adaptent peu à peu au noir, je vois le sol devant moi juste assez bien pour trébucher que rarement dans un geste maladroit. Je me laisse envahir par l’obscurité et la fraicheur de la nuit, le vent souffle en petite rafale faisant danser les sacs plastiques retenus dans le sable ou embourbés dans l’herbe sèche dans une étrange mélodie putride presque douce à l’oreille. J’avance dans cette pénombre, je ne sais où je suis, je dois tourner à droite au bout de la rue, mais dans mes souvenirs ce n’était pas aussi loin, peut-être parce que je l’avais seulement fait à l’arrière d’une moto. Un chien avance nonchalamment en sens inverse au trot. Un autre traverse brusquement la rue devant moi en grognant, oh danger, il ne me regarde pas, une chance. Il va rejoindre le premier et deux autres non loin de moi, la bagarre éclate, moi, je presse le pas. Enfin le Y, je prends à droite comme prévu. Il fait encore plus noir et il y a personne. Mes yeux se lèvent vers le ciel, une nuit sans lune, mais aux milliers d’étoiles, un trou dans la chaussée me ramène vite à la réalité, des rires, j’ai vraiment failli tomber. Mes pieds avancent chacun leur tour sur la surface noire qui me sert de route, au bout de celle-ci je suis chez moi. Le noir est presqu’oppressant, mais je me sens bien. Je suis loin, mais si proche de chez moi. Le bout de la rue arrive justement vers moi. Un néon éclaire violement mes yeux habitués à l’obscurité, je traverse son champ, le noir total durant une fraction de seconde, plus la lumière est vive, plus l’ombre est profonde. Ma maison est la seconde sur ce sentier, plus que 20 mètres-jour et je suis chez moi, après tout ce chemin ai-je vraiment envie de rentrez ? Allons dormir, il est 12h, je marcherai demain, de toute façon.
Simon Bouchard
13/02/2012

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